Petit bonheur
- Fé Nét
- 12 juil. 2021
- 4 min de lecture
Petit bonheur
Jour 1
Oh mon amour ! Mon cher, mon doux, mon tendre papier, mon carnet, ma plume fétiche, comme tu m’as manqué. Combien il est bon de sourire avec toi et de me lover dans tes pages.
Mon petit cahier indispensable, ma fontaine de jouvence, là où j’exulte, comme tu m’es précieux, comme tu m’as manqué et quelle joie de courir vers toi, pour y crier l’écriture du bonheur de la vie, de ces instants adorables, ces heureux moments où tout rayonne, où la lumière boue et s’évapore et nous entoure et te recouvre.
Quel plaisir j’ai, à me fondre en toi, à t’ouvrir mon monde. Car toi seul me connais et à toi seul je partage la puissance du sentiment d’écriture qui m’habite et qui synthétise, agrège, somarise, la plénitude de mon être vibrant.
Oui je sais que ma main sur la page te tient trop fermement tandis que l’autre griffonne hâtivement, sans plus savoir où elle va qu’un papillon à tirant d’aile, qu’un paille-en-queue en grand vent, qu’un pétrel entre ciel et mer.
Oui tu le sais, je fulmine à l’inverse de la colère.
Oh mon petit cahier, mon doux, mon cher, mon adorable chez moi. Tu ne sais encore rien, il faut tout te dire, du secret des secrets. Je suis avec toi parce que je ne veux pas qu’on me parle, je veux être sourd au monde, m’immobiliser dans l’espace-temps, m’en absoudre pour que rien, vois-tu, n’altère l’atmosphère où je baigne présentement.
Et tout ce que je te demande c’est ce figement, cette capture, qui n’est pas une archive mais un élan constant, un microcosme d’éternité, où tournent et retournent les astres de ma galaxie. Retenir l’inspiration sur cette bouffée délirante de sourire aux lèvres et de pétillance aux yeux et de verve inextinguible.
Des mots me viennent qui ne concernent personne, que ne regarde personne et il me faut pourtant les dire, les marquer, leur laisser libre effusion et toute liberté d’épancher les laves poussées par les profonds mouvements telluriques de mon âme. Rien n’est plus important que de te rejoindre dans ce faux silence.
Oh ma réserve, mon arrière-cour, mon boucan-château, me voici incapable de me contenir en mon corps. J’outrepasse ma peau, je déborde de mon enveloppe, mes os me semblent négligeables dans ce qui me structure désormais.
Je suis ailleurs. Avec toi. Je contiens le monde et le monde m’est extérieur. C’est difficile de t’expliquer. Sans doute que ça n’existe pas, là où nous sommes. Ce que je dis sans doute n’existe pas, non. Ce n’est qu’une illusion qui me tient, qu’un passe-dimension, une momentanée perception qui me transcende et m’amène, heureusement, jusqu’à toi, pour que tu m’y maintiennes.
Page après page, sondons avec notre encre, la profondeur de l’onde et la puissance du courant. Vois comme la houle est saoule, comme la densité de l’eau ferme l’océan. Comme elle est dure à l’impact et comme elle sépare le ciel de la mer. Tout est là. Puissant. Chaleureusement inquiétant. Ne soufflant que l’abandon, le décrochage du fil temporel.
Ne désirer qu’être emporté et chérir l’emportement avant qu’il n’échoue sur la berge quelconque où nous attendra l’ordinaire. Avant le retour au calme, avant le tarissement, avant l’atonie, avant le vrai silence qui fait croire tout cœur sourd et déshérité du moindre écho. Avant la solitude revenue d’une vie désertée par le rêve et déshéritée de toute rêverie.
Enfin le sacré, surgissant, nous extirpe d’un monde profané. Avant-hier encore je marchais. Hier je rechignais à mettre un pas devant l’autre, et voilà qu’aujourd’hui mes pieds ne savent que courir. De braise à feu follet, une écharde pétille hors du feu, enflammant l’air.
Oui je sais, mon cahier, mon tout petit cahier, que cet écli incandescent, que ce brasier, que ce feu de vie se perdra et n’est rien, au milieu des milliards d’êtres humains, au regard de l’infini de l’univers. Mais ce n’est pas encore passé, vois-tu, c’est là. Cela mourra, et encore, je n’en suis pas sûr, car l’empreinte laissée par la poigne de la joie, le souvenir du ressenti, tu vois, je pense que ça reste. Je pense qu’il y a des pépites qui s’inscrivent dans notre adn, qui modifient les gênes de notre pensée, et qui ne seront qu’à jamais ressources et jamais regrettées, car signes intensément compréhensibles du sentiment de vivre.
Maintenant que je suis au contentement, mon cahier, je n’ai que faire de ce qui adviendra. Toutes les douleurs à venir, toutes les craintes possibles, et même la mort, tout cela s’évanouit, n’est rien et en tout cas ne me concerne pas. Le sens des choses et leur absurdité n’est rien, que je suis au contentement. Oh mon cahier qui sait le bonheur de ma vie, les cadeaux de mon destin, je n’ai jamais été aussi content. Je suis content. Niaisement comblé. Et cet état, cet état de poésie, cette incontinence émotionnelle, me suffit. Arrêtons-nous à cela. Fixons-le. Faisons une capture d’écran, un FNT. Que le contentement demeure. Que le contentement soit mien à jamais. Que cela suffise. Que l’acmé ne périclite.
Le bon génie de l’existence parle sans mots, agit sans acte et signale l’inestimable beauté, son avènement espéré. Il donne la clef de son mystère, il offre la foi comme certitude éprouvée. Qu’importe la mort lorsqu’on a connu la vie. Je tiens la finalité. Quelque part je la tiens. Elle est entre mes mains. C’est incroyable. Et je m’en sens tout persuadé. Cela qui me fait sourire est vrai. Cela existe. La joie. Le bonheur. Le contentement. Le ravissement. Tout cela existe et je ne veux, maintenant, qu’entrer en contemplation de la vérité du jour et de la nuit.
Il fait beau. Pas un nuage. Les oiseaux chantent. Pas un bruit. Le ciel est bleu. Pas un nuage. Oh mon cahier, mon petit cahier. Le travail m’appelle il faut que je te quitte. Je poursuivrai en mantra les phrases que je t’adresse. Je poursuivrai en mantra en priant pour que le retour au réel n’affecte pas, ne chasse pas, n’efface pas la prégnance de ma pamoison.
Je te reviens vite, dès que les hommes me le permettent. Dès que je pourrai. Je reviens. Garde mes habits de lumière au tissu étincelant, que je m’en pare dès mon retour. Oh que tu me manques, tu me manques déjà.
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